Annoncée depuis des semaines la coupure à finalement eut lieu. Le 1er janvier 2008, la Russie a cessé de fournir du gaz à l’Ukraine. Le désaccord porte sur les paiements des livraisons et le prix du gaz. C’est l’occasion de revenir sur ce géant méconnu, Gazprom, premier producteur et transporteur mondial de gaz.
Naissance de Gazprom
Après la chute de l’URSS, l’industrie du gaz est le seul secteur économique qui n’est pas démantelé lors des privatisations. Le ministère de l’industrie gazière se transforme en société d’Etat en 1989 puis en société par actions en 1992. Rem Viakhirev devient PDG a la place de Viktor Tchernomyrdine en 1992, quand ce dernier accède au poste de Premier ministre.
L’autonomie de Gazprom est alors considérable. Les gazoviks (ceux qui ont fait toute leur carrière dans le secteur du gaz) forment un des clans les plus puissants dans la Russie de Boris Eltsine. Dans le chaos de la transition, l’entreprise continue à fournir du gaz à bas prix à toute la population et maintient en vie des pans entier de l’économie.
Mais l’opacité de la gestion permet des détournements importants et la vente de filiales à des prix dérisoires. Ces dernières sont rachetées par des proches des dirigeants de Gazprom.
Reprise en main par le Kremlin
L’arrivée de Poutine change la donne. En 2000 il fait rentrer Dimitry Medvedev, alors chef adjoint de l’administration présidentielle, dans le conseil d’administration de Gazprom. L’importance des détournements permet de faire partir les dirigeants Rem Viakhirev et Viktor Tchernomyrdine.
En 2001, Alexeï Miller, fidèle de Poutine et vice ministre de l’Energie devient PDG à la place Viakhirev. Des compromis sont trouvés avec les directeurs régionaux. Ce n’est qu’en 2005 que l’Etat devient actionnaire majoritaire avec 50,O1 % des voix.
Gazprom est désormais étroitement lié au pouvoir politique russe. L’intérêt est double pour Vladimir Poutine, alors président de la Russie:
- garder un controle des ressources nationales face aux compagnies étrangères
- avoir un outil essentiel pour peser sur la scène internationale
La stratégie de l’entreprise
Longtemps numéro 3 en bourse, derrière PetroChina et Exxon Mobil, l’entreprise espère devenir le numéro un mondial de l’énergie. Ses investissements ne sont pas limités au gaz mais également au pétrole, à l’électricité et au nucléaire. Gazprom possède de nombreux medias russes, une banque, des entreprises de construction.
Il n’y a pas une semaine sans une nouvelle annonce d’accord ou d’acquisition.
La dépendance croissante de l’Europe
La dépendance au gaz russe est très variable selon les pays en Europe. Si 33% du gaz consommé par l’Allemagne vient de Russie, ce taux monte à 58% pour la Pologne, 72% pour la Hongrie ou 76% pour la Grèce. La France et l’Italie ont une dépendance moins forte puisque 25% du gaz consommé est fournit par Gazprom.
Aujourd’hui la Russie, qui accusait l’Ukraine de détourner du gaz destiné au reste de l’Europe, annonce avoir stoppé toute livraison passant par ce pays.
Or l’Ukraine est un carrefour par lequel passent une grande partie des gazoducs qui alimentent l’Europe.
Pour avoir un contrôle complet sur le transport du gaz, l’entreprise russe a mis en oeuvre ces dernières années deux gigantesques chantiers:
- North-Stream un gazoduc qui part de Saint-Petersbourg et parcours 1200 km sous la mer Baltique pour arriver directement en Allemagne.
- South-Stream, avec 900km sous la mer Noire jusqu’en Bulgarie. A partir de là, une branche part directement en Italie et en Grèce, l’autre vers l’Autriche et l’Europe centrale. Ce chantier entre en concurrence avec le projet européen Nabucco.
L’année dernière l’Ukraine payait 179$ pour mille mètres cubes de gaz. Dans un premier temps la Russie exigeait 250$ mais demande maintenant 450$.
La crise révèle, au delà de la puissance et du monopole de Gazprom, une absence complète de politique énergétique commune en Europe. La commission européenne exige des pays européens une libéralisation complète, ce qui suppose une séparation entre transport et distribution du gaz. En revanche, pour Moscou il est pas question de se plier à ces règles qui obligeraient Gazprom à abandonner son monopole sur le transport et l’exportation du gaz russe.
Pour aller plus loin
* La nouvelle arme du Kremlin, Courrier International, Fevrier 2007
Entretien avec deux journalistes de Courrier International.
L’empire Gazprom, cet Etat dans l’Etat, est devenu un levier majeur de la politique de la Russie de Poutine
* Energie : « la vraie menace c’est la Commission Européenne, pas la Russie », Novosti, (via ContreInfo), 2008
Les Etats vont-ils perdre définitivement la possibilité d’orienter et d’organiser la reconversion hors des énergies fossiles ?
* «Gazprom veut être l’opérateur de référence en France»,Le Figaro, 2008-06-10
Interview du PDG de Gazprom Alexeï Miller sur la stratégie de l’entreprise en France.
* Du Caucase à l’Asie centrale, « grand jeu » autour du pétrole et du gaz, Régis Genté, Monde Diplomatique, Juin 2007
Cet article montre que la guerre du gaz n’est pas limitée a l’Europe. Dans le Caucase et l’Asie centrale, la rivalité entre les grandes puissances (Russie, Etats-Unis, Chine) peut aussi permettre une plus grande indépendance des petits, mais n’assure pas pour autant une amélioration dans le respect des droits humains.
Livre
Gazprom, le nouvel empire, Alain Guillemoles et Alla Lazareva, édition Les Petits Matins, 2008